UN JUGE, MAIS QUEL JUGE ? UN CONDAMNÉ, MAIS QUEL CONDAMNÉ ?

CHÂTEAU DE CARTES
CHÂTEAU DE CARTES

DE QUELQUES RÉACTIONS SUR UNE CONDAMNATION

L’ex-président Sarkozy, pas plus que ses acolytes l’avocat Thierry Herzog et l’ancien haut magistrat de la cour de cassation Gilbert Azibert, ne sort blanchi de cette affaire dite « des écoutes », ou encore « Paul Bismuth » (le pseudonyme employé pour utiliser un téléphone censé rester secret). Trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence. Alors, bien normalement, les réactions fusent. Pour Le Parisien, c’est « un jugement cinglant pour des faits “d’une particulière gravité”. » Bien, admettons l’image, valorisant le fait que M. Sarcozy soit resté droit – dans ses bottes ? – bien que cinglé par l’énoncé du verdict.

Sur Boulevard Voltaire, le billet de Philippe Bilger, est aussi étonnant qu’attendu de la part de cet ancien substitut général[1]. Il considère que cette condamnation n’est pas un « coup de tonnerre », car il « rêve d’une justice qui traite de la même manière, les modestes, les riches ou les puissants. » Laissons-le rêver et considérer que « la judiciarisation de la vie politique, qui conduit la justice à s’intéresser à des infractions reprochées à des politiques de droite ou de gauche, ce n’est pas une régression de la démocratie mais une avancée de celle-ci. »

Toutefois, il s’emporte : « Parler d’acharnement judiciaire commence à être agaçant. On ne parle pas, avec Nicolas Sarkozy, de quelqu’un qui sort d’une virginité politique ou d’un angélisme judiciaire. À un certain moment, il a eu la bagatelle de sept, huit, neuf procédures. »

Extraordinaire « sortie » qui pourrait trahir une faute professionnelle majeure de la part de ce super spécialiste : rattacher les procédures anciennes à l’accusation en cours. Au mieux, pourrait-on utiliser cet argument pour prononcer des circonstances aggravantes. Mais de là à justifier le fond de l’affaire en cours ! Quelqu’un mal informé pourrait le suspecter de corporatisme.

Bref, à chaque billet de cet ancien avocat général, je suis surpris de le voir, sous couvert d’équité, noyer le poisson.

J’avoue préférer l’éditorial de Valérie Toranian, dans La Revue des deux mondes.[2] Le titre sonne clair : « La justice se paye Sarkozy. » Elle rappelle immédiatement que le même Sarkozy « avait qualifié en 2007 les magistrats du siège d’élites issues du même moule, de “petits pois”, tous de même calibre et sans saveur » et que : « les juges en étaient verts d’indignation. » Oui, aussi non-juridique que sonne cette appréciation légumière et ses renvois post-digestion, ça sent la vérité qui ne doit pas se dire… à peine se penser. Sinon, gare !

Je passe sur les arguments de cet éditorial, que vous lirez ou pas. Faut-il le soutenir dans sa totalité ? Les avis sont partagés.

REVENIR AUX FONDAMENTAUX : JURIDIQUE ET EXÉCUTIF

Plus intéressant est d’en revenir aux fondamentaux de la question : la relation du juridique et de l’exécutif. Halte-là ! Vont s’exclamer les perroquets multicolores d’indignation. Et la séparation des pouvoirs ? Vous oubliez la séparation des pouvoirs !

Eh bien, non, je ne l’oublie pas ! Relisez Montesquieu, gentils emplumés. Vous comprendrez que la séparation nécessaire est à l’intérieur de chacun des pouvoirs, spécifiquement entre le « Numéro 2 » (référence à la série Le Prisonnier) et ses « n moins quelque chose ». Quant à l’hypothétique séparation de l’exécutif et  des autres pouvoirs, expliquez-moi alors pourquoi il y a un conseil dit “des ministres” écoutant benoîtement “le” président, et quel est le vrai rôle de chacun. J’attends ! Mais je vais attendre longtemps pour que l’on comprenne enfin que ce “conseil des” n’est qu’un “conseil aux”. Comme le bourreau “conseillait” au condamné de ne pas bouger sa tête.

Expliquez-moi pourquoi, depuis des siècles, les juristes s’entortillent vingt fois les neurones pour justifier les guerres que l’exécutif a décidé de faire. Revenez à Philippe le Bel et à Guillaume de Nogaret. C’est plutôt croquignolet, sauf pour les Templiers.

Puis remontez vers nos époques. En pleine république. Vous y retrouverez les mêmes arguties, pour déclarer que la guerre existe, ou qu’elle n’existe pas, que tel accord s’applique ou ne s’applique pas, selon le « client », que nous faisions de la pacification lors « d’évènements » mais pas une guerre d’Algérie (sinon il aurait fallu offrir une douzaine de balles à chaque « passeur de valises », etc.

Que l’on se rappelle l’affaire des « ballets roses » en 1959, où fut impliqué André Le Troquer, le dernier président de l’Assemblée nationale de la IVe République. Petites filles et pratiques « un peu trop rapprochées ». Alors, « Le président du tribunal va jusqu’à morigéner des jeunes filles qui ne sont plus des enfants, accusant une société décadente et « l’esprit de Saint-Germain-des-Prés ».[3] Comme cela nous semble actuel. « Une connerie » comme l’explique le sémillant Jack Lang, ce qui, traduit en bon français, signifie pas grand-chose, rien qui mérite qu’un quelconque juge s’en occupe. Comprenne qui peut, comprenne qui veut !

Autre exemple, l’affaire Marcovitch, ce crime crapuleux de 1968 devenu machine à salir Georges Pompidou pour l’empêcher de poursuivre la carrière qui devait le mener à la présidence. Elle nous rappelle cette évidence que « constitutionnellement la justice dépend du conseil supérieur de la magistrature dont le président de la République est le président, et le ministre garde des sceaux le vice-président. Le ministère du garde des sceaux comporte un cabinet du ministre et une chancellerie composée de magistrats, organisation analogue à celle du ministre des armées avec son cabinet et son état-major général. [4]» Pour les juridictions, la séparation existe entre magistrats du siège (présidents, juges d’instruction) et du siège (procureurs). « Mais le parquet défend avant tout les intérêts de l’État, et en ceci est obligé de suivre les instructions de la chancellerie, organe d’exécution du Grade des sceaux. »[5] Et dans cette affaire, ça ne sentait pas très bon, même au plus haut niveau de l’État.

Pour le règne mitterrandien, les non-convaincus liront avec intérêt les mémoires du capitaine Paul Barril [6]. Si vous voulez entendre parler d’écoutes, vous serez servis jusqu’à vomir. Et vous retrouverez aussi des noms de juges et autres journalistes spécialisés dans la morale.

Mais pour en revenir à d’autres présidents, par exemple Chirac, puis Sarkozy, et leur mépris total du peuple français. Maastricht ! Un référendum, en 2005 ! C’est déjà oublié ? Près de 55% de non. Et ensuite…l’enfumage pour arriver au traité de Lisbonne.

Finalement, la justice suit toujours son cours… ou d’autres. Sarkozy tombe brutalement sous ses coups, à la suite d’une action bien vigoureuse du PNF, le Parquet national financier, ce qui pourrait nuire à un retour étonnant lors des prochaines élections présidentielles … un peu comme pour François Fillon avant l’élection précédente.

Aujourd’hui on ne parle plus de hasard, mais de synchronicité. D’autres disent « en même temps ».

Alors, justice et exécutif !

Ainsi, que l’on juge l’homme au Karcher d’occasion pour des renvois d’ascenseur qui sont monnaie courante, ce n’est pas cela qui doit nous écœurer, mais l’ensemble.

Mais nous n’avons pas fini de parler de justice, tant cette construction ressemble de plus en plus à un château de cartes biseautées.

[1] https://www.bvoltaire.fr/philippe-bilger-sur-la-condamnation-de-nicolas-sarkozy-je-considere-que-ce-nest-pas-un-coup-de-tonnerre/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=philippe-bilger-sur-la-condamnation-de-nicolas-sarkozy-je-considere-que-ce-nest-pas-un-coup-de-tonnerre&mc_cid=c05c202d93&mc_eid=82726536ed

[2] https://www.revuedesdeuxmondes.fr/la-justice-se-paye-sarkozy/#more-187363

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_Ballets_roses_(France)

[4] Clément Claude, Fernand Lanore, 1976, La Vérité sur l’affaire Marcovitch

[5] idem

[6] Barril Paul, Albin Michel, 1996 Guerres secrètes à l’Élysée